Sang d'encre [privé avec Tenzû Hito]

Des champs à perte de vue. Des brindilles jaunies, desséchées, craquaient sous ses pas. Une brise légère emportait ses cheveux dans une valse sans fin, ils tournoyaient, ils volaient, ils flottaient. Les doigts écartés, les yeux fermés, Arwen respirait enfin l’air frais. Le soleil chaud sur sa peau, les pousses d’avoine qui chatouillent ses doigts, elle se sentait bien. Elle inspirait le bonheur, et expirait la haine. Elle riait, ses larmes avaient enfin séchées. C’est alors que la brise se transforma en vent. Un vent si fort qu’elle en fut presqu’arrachée de terre. Surprise, l’adolescente ouvrit les yeux. L’avoine était fané, les brindilles brunies, ses pieds nus tachés par la boue. Le ciel, autrefois si bleu, était assombris par la présence de nuages informes et d’un gris angoissant. Arwen, paniquée, se surpris à manquer de souffle. Elle étouffait. Elle tenta de courir, s’enfuir de cet endroit de malheur. C’est alors qu’une racine lui empoigna la cheville, la faisant trébucher. Elle tenta de s’en délassé mais la racine était enroulée si fermement que son pied avait prit une couleur bleutée. Très lentement, de la tempête, s’éleva une forme sombre. Elle était loin, mais si imposante qu’on aurait pu croire qu’elle était tout près. Elle s’avançait d’une démarche lyrique, presque belle, touchante. Mais il y avait quelque chose dans cette apparition qui vous révulsait, qui vous donnait envie de fuir le plus vite possible. De la pénombre apparurent deux yeux vermeils, brillants d’une folie perverse, qui vous glace le sang. Arwen voulut crier, mais une boule dans sa gorge empêchait tout son de s’en sortir. Elle se débatit, la forme approchait de plus en plus. Affolée, elle tenta de couper la racine avec ses ongles, qui avaient été rongés jusqu’à la racine. Lorsqu’elle se retourna, la bête était penchée, accroupie à ses côtés. Arwen n’en crut pas ses yeux… c’était un parfait craché d’elle-même. Pour seule différence, ses yeux rouges, brillants, fous, affolants, pervers qui la fixaient avec curiosité.

« Du sang d’encre coule dans tes veines, c’est dommage. » chuchota la bête.

« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH », hurla de pleins poumons Arwen, en se redressant, les cheveux collés sur son front par la sueur. Elle haleta un bon moment, la panique se lisant dans ses prunelles. Arwen ouvrit la lumière, et, incapable d’aller se recoucher, elle fit les cent pas. Cela faisait depuis deux semaines qu’elle faisait le même rêve, toujours le même. Elle manquait terriblement de sommeil, elle n’était plus capable de rester concentrée sur quoi que ce soit, ces temps-ci. Elle s’arrêta devant son miroir, elle fut même un peu surprise de ne pas y apercevoir les yeux vermeils. Le maquillage qu’elle avait oublié d’enlever avait un peu coulé, alors elle l’estompa avec son doigt. Ses cheveux ondulés étaient un peu en bataille, mais elle s’en fichait. Elle commençait à suffoquer, dans sa petite chambre. Elle mit un t-shirt trop large, des leggings noirs ses bottes d’armées, et s’arma du petit sac en plastique qui contenait « ses affaires personnelles ».

Il était routine chez Arwen, de s’évader de sa chambre aux petites heures, où tout le monde était couché. Dès sa première année à l’institut, elle avait trouvé un petit passage qui la menait au toit. Elle y passait la plus part de ses temps libres à lire et fumer sans que personne ne la surprenne.

Ce soir, elle fit de même. Elle prit un livre, un briquet, une veste en cuir noir et sortit de sa chambre de son pas silencieux. Elle traversa les couloirs tel un fantôme et monta les escaliers, ouvrit une trappe et grimpa la petite échelle en bois. Lorsqu’elle fut sur le toit, un vent frais lui fouetta le visage, la soulageant de la claustrophobie légère dont elle souffrait, enfermée dans sa chambre. Il devait être deux ou trois heures du matin. Au loin, il y avait des dunes à en plus finir, dont le sable dansait avec le vent dans un mouvement gracieux et lent. Arwen s’accota à la cheminée, où elle se roula dans un petit papier le contenu de son petit sac en plastique. Elle l’alluma en le couvrant d’une main, en prit une bouffée et, en soupirant, ferma les yeux. Elle lut un peu, mais n’arrivait pas à se concentrer. Ses pensées se bousculaient dans sa tête, les unes avalant les autres.

C’est alors que, sans prévenir, des bruits de pas s’approchèrent. Arwen ne réagit pas tout de suite, croyant qu’ils étaient causés par les claquements des vents, mais elle dut se résigner à regarder derrière elle pour vérifier. En effet, quelqu’un était monté sur le toit. Elle avait bel et bien refermé la trappe derrière elle, alors qu’elle était présentement ouverte.

Alors qu’elle se retourna, elle tomba face à face avec un grand jeune homme, dont la crinière blonde était balayée par les bourrasques. Il la regardait avec un sourcil sarcastique et un sourire en coin.

Arwen, indifférente, se rassit adossée à la cheminée regarda les dunes.

« Qu’est-ce que tu veux? » dit-elle, presque emmerdée.